Imprimé
45 pages
Auteur(s)
Thors Hammer
Quand il ouvre au public en 1907 son théâtre d’ombres dans le quartier artistique de Schwabing, Alexander von Bernus veut proposer une nouvelle forme d’art dont il revendique la filiation romantique et qui, distincte des spectacles du Chat Noir à Paris, exploiterait davantage l’immatérialité de l’ombre pour s’aventurer sur les terres de l’âme et du rêve. Le mysticisme prégnant dans les cercles intellectuels et artistiques munichois au début du 20e
siècle n’est pas étranger à ce projet visant « l'union la plus métaphysique de l'image, de la poésie et de la musique.» Autour d’Alexander von Bernus, Karl Wolfskehl, avec l’illustrateur Rolf von Hoerschelmann, fait partie des co-fondateurs des Schwabinger Schattenspiele ; une de ses pièces, Wolfdietrich und die Rauhe Els, figure au programme d’inauguration du théâtre.
Karl Wolfskehl écrit trois pièces pour les Schwabinger Schattenspiele. Celles-ci se distinguent des pièces oniriques d’Alexander von Bernus par leurs thèmes (le rapport de force entre les sexes notamment) et une atmosphère plus sombre et violente. Les trois pièces sont des adaptations de mythes nordiques ou de contes orientaux. Dans le sillage de l’influente tradition philologie des universités allemandes et de la nouvelle dynamique que connaît l’orientalisme scientifique au début du siècle, Karl Wolfskehl s’intéresse à ces récits avant tout comme érudit et bibliophile. Dans Thors Hammer, il reprend « Le Chant de Thrym », un poème de l’Edda poétique (un ensemble de poèmes réunis dans un manuscrit islandais du XIIIe siècle qui est la principale source de connaissances sur la mythologie scandinave). Ce chant raconte le vol du marteau de Thor par le géant Thrym et sa récupération grâce à la ruse des dieux. Entre la fin du 18e et le début du 20ème siècle, il fait l’objet d’une dizaine de traductions en allemand. A partir de ce chant assez bref de trente-deux strophes, Karl Wolfskehl opère un véritable travail de réécriture dramatique, en étoffant le texte initial de dialogues vifs ou de tirades exaltées qui contribuent à l’individualisation des personnages mythologiques.
Le choc entre divinités et géants inspire à Emile Preetorius des silhouettes expressives, assez massives et un décor (celui du royaume polaire des géants notamment, avec sa faune et ses blocs glaciers) très suggestif.
Un dieu se travestit pour sauver son royaume
Thor s’éveille extrêmement agité : son marteau a disparu pendant son sommeil. Il invoque les esprits de l’air et de la lumière et demande à Loki de partir à sa recherche. Celui-ci refuse, Thor s’impatiente et l’implore. La déesse Freia intervient ; Thor raconte alors son cauchemar et le vol du marteau. Loki, railleur, finit par céder. Il revêt la robe de plumes de Freia et prend son envol.
Au royaume des géants, le souverain annonce l’assaut prochain de la cité des dieux. Loki arrive et le salue, évoque le déclin du royaume des dieux et la détresse de Thor privé de son marteau. Le géant lui apprend que l’arme est désormais en sa possession mais Loki reste incrédule. Ses doutes sont aussitôt dissipés quand un dauphin émerge avec le marteau dans la gueule. Loki insiste pour le récupérer et promet au géant ce qu’il veut en échange. En position de force, le géant accepte de restituer le marteau si la déesse Freia devient son épouse. Il donne un délai de sept jours aux dieux avant de leur déclarer la guerre.
De retour au royaume des dieux, Loki transmet le message à Thor qui demande aussitôt à Freia d’accepter ce sacrifice. Celle-ci s’offusque, Thor insiste. Le vieux Heimdall propose, pour tromper le géant, de travestir Thor en mariée et Loki en suivante afin de s’emparer du marteau au moment venu. D’abord hésitant, Thor accepte de se travestir, louant les sages parole de Heimdall.
Déguisés en femmes, Thor et Loki arrivent au royaume des géants où un festin grandiose les attend : la table a été dressée au bord de la mer et le gibier abonde. Loki improvise plusieurs mensonges pour justifier la faim ogresque de la mariée et son regard effrayant qui étonnent le géant. Crédule, le géant demande d’apporter le marteau pour sceller l’alliance. Thor se démasque, un coup de tonnerre retentit et il s’empare de son arme. Sous les acclamations générales, il met fin à l’expansion des brumes et des glaces et, pour relier la terre et les dieux, fait apparaître un arc-en-ciel.
Première représentation
Schwabinger Schattenspiele
Éditions et traductions
Karl Wolfskehl, Thors Hammer, Munich, Schwabinger Schattenspiele, 1908