Rédigé en 1914, ce dialogue entre deux marionnettes est le point de départ du grand cycle The Drama for Fools (Le Théâtre des fous) qui occupe intensément Craig en 1916-1918, et qui devait compter 365 courtes pièces à jouer comme un spectacle itinérant, du 1er avril au 31 mars, chaque soir une nouvelle pièce dans un nouveau lieu. S'il s'est interrompu avant d'achever ce cycle et s'il a renoncé à le représenter lui-même, Craig, qui signe ses pièces du pseudonyme de Tom Fool, a conservé ses ébauches sous la forme d'une collection de cahiers dactylographiés, aux couvertures calligraphiées dans différentes couleurs et richement illustrés, dans trois coffrets cartonnés. Très attaché à ces cahiers, il les a repris, corrigés, enrichis jusque dans les années 1950. Cette collection est aujourd'hui la propriété de l'Institut International de la Marionnette (Charleville-Mézières).

Le propos de ce prologue est métathéâtral: il oppose deux conceptions de la marionnette, celle qui se comporte comme un acteur vivant et celle qui se souvient qu'elle a été faite à l'image des dieux. Il s'achève par la vision d'un grand maître birman sur le point de mourir: pour Craig, les marionnettes à fils birmanes étaient parmi les plus belles jamais réalisées.

Il existe plusieurs versions manuscrites ou dactylographiées de ce texte. La plus ancienne est un manuscrit daté d'octobre 1914, intitulé The Scene, et conservé au Harry Ransom Center de l'Université d'Austin (Texas). Il a été publié par Christopher Knowles en annexe de son livre Edward Gordon Craig - A Vision of Theatre (Harwood Academic Publishers, 1998). Trois exemplaires dactylographiés, datés de 1918, figurent dans les coffrets conservés par l'Institut International de la Marionnette. Ils comportent de nombreux ajouts et corrections de la main de Craig, ainsi que plusieurs dessins. Comme l'ensemble du projet du Drama for Fools, ce texte est signé du pseudonyme de Tom Fool.

Deux marionnettes à fils sont accrochées dans un théâtre. Après quelques exercices de gymnastique matinale, la Première, en grande forme, réveille la Deuxième qui a triste mine et qui est occupée à penser. Persuadée d'avoir une âme très riche, la Deuxième Marionnette fait la leçon à la Première en lui expliquant les principes du Bien et du Mal. Elle prétend être un acteur et se délivrer de son créateur, Dieu, devenu impuissant. Pourtant, elle doit demander à la Première Marionnette de l'aide pour dénouer ses fils ou pour se mouvoir. La Première, quant à elle, explique qu'elle est l'image de Bouddha. Suffoqué par cette déclaration, la Deuxième Marionnette, qui se sent mal, demande à la Première d'ouvrir la fenêtre, puis le paysage. Apparaît alors une maison en Birmanie, avec le maître des marionnettes qui a créé la Première et qui, très âgé, est sur le point de mourir.