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46 pages
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Il Leandro
Il Leandro est le premier drame en musique joué par des marionnettes à Venise : il voit le jour au printemps 1679 sur un livret du comte Camillo Badovero, accompagné de la musique de Francesco Antonio Mamiliano Pistocchi dit Pistocchino (dont la partition ne nous est pas parvenue).
L’histoire de Héro et Léandre avait déjà été racontée par Ben Jonson en 1614 sous la forme d’un moment de théâtre dans le théâtre, donnant lieu à un spectacle de marionnettes à l’intérieur de la pièce Bartholomew Fair; le thème connaît une grande popularité dans la production musicale et artistique du début du 17e siècle. Dédiée à Gasparo Altieri, neveu du Pape Clément X, la pièce de Badovero est donnée au Teatro alle Zattere, une petite salle éphémère dans une maison privée du quartier de Dorsoduro, sur le quai du canal de la Giudecca. La pièce est reprise en 1682 au Teatro San Moisè sous le titre de Gli amori fatali. Le livret de 1679 ne fait aucune mention de marionnettes, mais la préface de l’imprimeur du livret de 1682 fait état de la « bizzarria » de l’auteur, en référence à l'omniprésence d'une veine merveilleuse grâce à laquelle le spectateur peut contempler sur scène ce qui est impossible dans la nature.
L’opéra mêle un personnel élevé tiré des Héroïdes d’Ovide aux figures de comédie qui viennent redoubler les amours de leurs maîtres sur un registre farcesque - le valet Millo est ainsi qualifié de "serviteur facétieux". L’ensemble du drame, écrit en vers, mobilise une série de procédés techniques spectaculaires qui répondent à l’engouement de la noblesse vénitienne pour les automates et autres machines. Venere (Vénus) sur un nuage, le chœur de Néréides sortant de l’onde dans une conque, les Amorini qui emportent Leandro dans le ciel, Hero se métamorphosant en laurier-rose, Venere sur son char escorté d’un cortège d’Amorini, Hero et Leandro emportés sur des nues jusqu’aux Champs-Elysées, deux Amorini portant le rideau : la liste des scènes à machine est caractéristique de l’opéra baroque vénitien et les nombreux effets spéciaux, comme la fumée de tabac qui anime le ballet des marins ivres, témoignent d’une maîtrise technique raffinée.
La pièce met en oeuvre des marionnettes en bois sculpté, actionnées sans doute depuis les dessous de la scène par un ou deux manipulateurs pendant que les musiciens et chanteurs officient derrière le plateau. Sa structure mime très exactement les représentations du dramma per musica telles qu’elles s’organisent depuis la fin de la Renaissance, scandées par des entrées chorégraphiques, des moyens scéniques merveilleux et des changements de décor nombreux: le spectateur est conduit des rues de la cité à la plage, de scènes nocturnes en scènes de Cour et de la mer aux Champs Élysées, au gré des aventures d'une Hero travestie en bohémienne. Le milieu du premier acte est marqué par un ballet, comme la fin du premier et du deuxième actes : ces danses en « cortegi » donnent à voir des groupes de figures muettes costumées ; le troisième acte se referme sur la machine de Vénus qui apparaît sur un char étoilé pour escorter les amants dans les Champs Élysées. Pistocchi compose certainement en tenant compte de la mécanique des marionnettes: la rapide succession des entrées et des sorties de personnages ainsi que les contrastes de registres d’une scène à l’autre conviennent bien aux changements de tempo soudains caractéristiques de l’opéra baroque. De nombreux passages, qui répètent la section initiale des strophes, se prêtent à l’improvisation chantée (et donc à l’improvisation chorégraphique des marionnettes). Ainsi, Il Leandro est un spectacle très proche des divertissements de cour déjà existants. Il est le premier, mais aussi le dernier spectacle d’opéra pour marionnettes représenté à Venise dans un théâtre public, puisqu’il conclut le cycle donné à San Moisè en 1680-1682 avec Damira placata et L'Ulisse in Feaccia et que son livret bénéficie à cette occasion d'une impression extrêmement détaillée, à destination du public.
Un homme meurt en cherchant à rejoindre sa bien-aimée à la nage
Leandro rencontre Hero alors qu’elle officie dans le temple de Venere (Vénus) : c’est un coup de foudre, qui se développe sur le registre de la galanterie. Le dialogue amoureux est redoublé du duo plus prosaïque entre Lesbia et Millo, les deux serviteurs. Alors qu’Hero, fidèle au service de la déesse, se refuse à Leandro, il la retient par son manteau qu’il arrache. Elle le supplie d’épargner son honneur et lui avoue son amour avant de décider, guidée par la passion, de mourir dans le sein de sa nouvelle divinité. La scène est traversée par Arbace et sa suite, constituée du chœur de chasseurs. Lucilla, amante volage de Tigrane qui la confie à la garde de Leandro, tente de séduire ce dernier, sans succès. Le premier acte se termine sur une note burlesque avec Millo, suivi d’un chœur de marins qui fument du tabac et dansent.
Arbace, tombé amoureux de Lucilla, est aidé par Giocasta qui organise un jeu amoureux (pipé) à destination de Tigrane et de sa maîtresse : il s’agit de prouver sa foi en retrouvant, à l’aveuglette, un signe d’amour. Alors que son amant a les yeux bandés, Lucilla peut profiter des baisers d’Arbace. Elle feint ensuite d’avoir gagné le jeu et congédie son amant pendant que Giocasta s’amuse de la force rusée des femmes. Pendant ce temps, Hero, déguisée en bohémienne, cherche à éprouver la fidélité de Leandro. Croisant Millo, elle lui prédit un avenir doré s’il l’introduit à la Cour : présentée à Lucilla comme une grande magicienne, elle se voit confier la rédaction d’une lettre d’amour à destination de Leandro. Arbace comprend que son amour est trahi et Tigrane se désole, pendant que Lucilla danse avec sa suite pour clôturer l’acte.
Alors que Leandro cherche désespérément Hero, cette dernière se présente déguisée en gitane et lui offre la lettre de la part de Lucilla : elle se persuade de sa bonne foi car il déchire le feuillet sans le lire. Leandro décide de rejoindre son aimée de nuit en traversant les ondes et elle projette de l’attendre sur la plage voisine. Lucilla a malheureusement surpris la conversation des amants et confie à Arbace le soin de la venger en tuant Héro. De nuit, Leandro est au bord de la noyade ; Venere, de son nuage, convoque le chœur des Nereidi (Néréides) pour le secourir et l’emmener au ciel. Arbace, voulant frapper Hero qui attend son amant avec anxiété, tue Lucilla pendant qu’Hero est métamorphosée en plante de Leandro (laurier-rose). Pendant que Lucilla meurt, tirant la leçon de sa mauvaise conduite, les amants sont réunis aux Champs Élysées aux côtés de Venere (Vénus).
Autres titres
Première représentation
Teatro alle Zattere
Éditions et traductions
Camillo Badovero, Il Leandro, Venezia: Giovanni Francesco Valvasense, 1679.
Lieu de conservation
Mots-clés
Procédés théâtraux
- Intrigue amoureuse
- Amour contrarié
- Musique
- Scène de séduction
- Personnage déshabillé sur scène
- Scène érotique
- Rivalité amoureuse
- Divertissement dansé
- Intermède
- Fumée
- Errance
- Personnage déguisé (fausse identité)
- Enquête
- Scène de chasse
- Scène dans l'obscurité
- Scène de nuit
- Métamorphose
- Apparition d'un dieu
- Deus ex machina
- Nuée
- Montée au ciel
- Volerie