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Damira placata
De 1680 à 1682, Venise accueille pour le carnaval trois saisons d'opéras pour marionnettes, écrits par Acciaiuoli et représentés au Teatro San Moisè. Dans ce théâtre partiellement démantelé, on aménage une scène provisoire sur laquelle Acciaiuoli met en scène trois drammi per musica à l’aide de grandes figures actionnées par des contrepoids depuis les dessous du plateau pendant que les chanteurs et musiciens officiaient derrière la scène. Après Il Leandro, premier spectacle de ce genre représenté à Venise l’année précédente, les trois pièces Damira placata, L'Ulisse in Feaccia et Il Girello permettent à l’entrepreneur (dont le nom n’apparaît jamais sur les livrets) de conquérir un public cultivé, aristocratique, qui prend connaissance des textes sous forme de libretti imprimés et distribués pour l’occasion, recensant de nombreuses informations sur les musiciens, les décors, les machines et les danses.
Damira placata (Damire apaisée), texte écrit par Acciaiuoli sur une musique de Marc’Antonio Ziani, retravaille Le Fortune di Rodope e Damira, livret à succès d’Aurelio Aureli représenté pendant le Carnaval de Venise de 1657 au Teatro Sant’Apollinare sur une musique de Pietro Andrea Ziani. Acciaiuoli modifie les noms des personnages et recentre l’action sur la figure de Damira, pour un texte dont la structure est extrêmement proche de celle du Novello Giasone. La pièce fait alterner scènes d’inspiration pastorale (autour du couple formé par Silo et Lerinda) et scènes de cour (autour de Creonte et Fillide), avec quelques personnages – comme Nerillo – porteurs d’un comique discret. Damira, déguisée en bergère sous le nom de Fidalba, opère le lien entre ces deux mondes. L’action est pensée de manière à mettre en valeur le fonctionnement virtuose des marionnettes d’Acciaiuoli, articulées aux poignets, aux genoux et aux chevilles et actionnées à l’aide d’un système de contrepoids (qui semble mettre en œuvre le système décrit par Sebastiano Serlio en 1663 dans son Architettura) : ce mécanisme d’un grand raffinement trouve à s’exprimer lors de la danse des Arméniens à la fin de l’Acte I ou de la danse des fous à la fin de l’Acte II. On en trouve également des traces dans les didascalies lors de scènes comme la chasse (I, 4) où Creonte descend de son cheval pour réclamer de l’eau, après que Silo a fait son entrée portant une hache et une calebasse remplie d’eau, ou lorsque Nigrane brandit son épée (III, 3). Damira placata est annoncée comme un spectacle donnant à voir des « figure di nuova invenzione » (figures d'invention nouvelle), ce qui confirme la nouveauté des marionnettes d’Acciaiuoli pour le public vénitien de 1680. La pièce s’ouvre sur un avis aux « Signori curiosi », appelés à venir admirer les prodiges de l’Art et la force du génie humain, capable d’animer un morceau de bois : la marionnette devient la preuve que l’Art sait faire ce que ne fait pas la Nature.
La partition est l’une des seules qui ait été conservée de ce corpus italien baroque pour marionnettes : la musique, conçue sur le modèle de l’opéra vénitien de la première moitié du 17e siècle, alterne les ariettes mélodiques et les sonates instrumentales accompagnées de danse. Maria de Martini a donné cette version au Teatro Domma à Rome en 2022, en utilisant de grandes marionnettes et des masques.
Une femme cherche à reconquérir son mari qui l'avait condamnée à mort
Damira, condamnée à la noyade par son époux Creonte roi d’Égypte, a été sauvée des eaux par le pêcheur Silo qui l’a recueillie avec son épouse Lerinda pour l’élever comme leur fille sous le nom de Fidalba. Lors d’une chasse royale, Silo offre à Creonte de l’eau du Nil: en remerciement, il est invité à la Cour avec sa famille. Fillide, la favorite du roi, entretient deux amants, Nigrane et Breno, tout en espérant obtenir la main de Creonte. Mais lorsque le roi lui promet le mariage, un tableau représentant Damira tombe à terre : Creonte est pris d’un pressentiment. Breno et Nigrane, soupirant d’amour ensemble, s’aperçoivent qu’ils aiment la même femme; Creonte les surprend et les exile. Damira fait son retour à la Cour sous les traits de Fidalba en compagnie de Silo et de Lerinda, et Nerillo leur offre un bal d’Arméniens.
Fillide fait ses adieux à ses deux amants. Dans le palais, Nerillo montre à Fidalba un tableau racontant l’histoire de Damira et lui annonce les noces de Creonte et de Fillide. Le roi, recevant Silo et Lerinda, croit reconnaître dans leur fille son ancienne épouse; Fillide tente de hâter le mariage, mais Fidalba l’interrompt pour annoncer que l’épouse du roi vit encore. Alors que la jeune femme passe pour folle, Creonte est en proie aux remords. Fillide surprend la fin de son monologue et croit qu’elle va être tuée comme Damira: elle confie à Breno la charge de tuer Creonte. Damira, pleine d’espérance, feint la folie. L’acte se termine par un bal des fous.
Breno tente de tuer Creonte, endormi au bord du Nil ; Nigrane l’en empêche, mais il est accusé à tort d’avoir porté atteinte à la vie du roi et emprisonné. Pour le sauver, Fillide lui donne ses habits et le fait sortir en compagnie de Nerillo. Elle avait récompensé Silo de ses bons offices par une chaîne en or: Lerinda, jalouse, décide de se venger de sa rivale en dénonçant sa fuite avec Nerillo. Damira, pensant se venger, frappe Nigrane sous les habits de Fillide. Excusée comme folle par Lerinda, elle révèle son identité et demande à Creonte de lui percer le sein: touché, il décide de reprendre son ancienne épouse. Creonte démasque la figure voilée qui se révèle être Nigrane, et tous se réconcilient en accusant Cupidon, le dieu aveugle.
Première représentation
Teatro Zane à San Moisè
Éditions et traductions
Damira placata. Venezia: Francesco Nicolini, 1680.