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60 pages
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Ailleurs
Revue symbolique en vingt tableaux
A Paris, le cabaret du Chat Noir organise des spectacles d’ombres pendant presque onze ans. L’« inauguration des ombres japonaises » est annoncée le 26 juin 1886 dans la revue. Le théâtre d’ombres est pourtant en activité depuis déjà quelque temps car la même annonce précise que L’Eléphant en est à sa 195e représentation. Jusqu’à la mort du fondateur du cabaret, Rodolphe Salis, en mars 1897, le théâtre du Chat Noir, techniquement conçu par le peintre-décorateur Henri Rivière, présente presque une quarantaine de pièces. A l’instar des cafés concerts, puis comme le feront d’autres établissements de variétés et les music-halls, le Chat Noir offre des soirées éclectiques où s’alternent des pièces aux registres et aux formats variés : « outre la pièce principale, chaque spectacle comprenait de petits levers de rideau, de jolies fantaisies, en trois ou quatre tableaux » (mémoires de Henri Rivière). Trois types de pièces constituent le répertoire du Chat Noir : les pièces chantées, les pièces récitées et les pièces bonimentées.
Maurice Donnay a écrit pour le théâtre du Chat Noir deux pièces d’ombres, Phryné et Ailleurs, dont il assurait lui-même le rôle de récitant. Dans Ailleurs, chaque tableau regorge de renvois à l’actualité politique, littéraire et dramatique. Les calembours et les personnages à clef sont autant d’allusions faites à des titres d’œuvres, à des slogans politiques et à des personnalités de l’époque.
Dans ses mémoires, Henri Rivière écrit avoir commencé à perfectionner ses techniques de modulation des fonds pour la pièce Ailleurs : « En avant du chalumeau oxhydrique à feu libre, sans aucun appareil d’optique, dans une série d’une quinzaine de rainures verticales, fonctionnaient des verres sur lesquels étaient peints en couleurs translucides des ciels de toutes nuances, des arrière-plans pouvant se superposer, descendre ou monter [...]. »
Un poète désabusé retrouve la foi
Une nuit, au bord de la Seine, le poète Terminus, lassé par la vie, se jette à l’eau. Descendue de son socle, la statue de Voltaire s’y jette à son tour. Terminus et Voltaire accèdent à des contrées imaginaires (le cap des Mages, la baie Constantin, une banlieue) où ils font la rencontre d’Adolphe, « le jeune homme triste ». Terminus guide ensuite Voltaire dans les pays de l’Ailleurs afin de comprendre pourquoi Adolphe est triste. Adolphe a souffert d’une éducation rébarbative puis il s’est heurté à la vanité du milieu littéraire. Terminus et Voltaire traversent un square où, au son de la Marseillaise, des statues d’hommes politiques se dressent ; ils foulent ensuite un plant d’oseille où ils croisent une chanteuse de café-concert, avant d’arriver dans une forêt où se tient un concours de poésie. Ces premières expériences ont sevré Adolphe de ses idéaux. Poursuivant leur chemin, Terminus et Voltaire arrivent au « Cycle de l’amour » où ils croisent le jeune Eros usé, des lesbiennes enlacées et une androgyne. Puis, ils manquent d’assister au dénouement sanglant d’une orgie satanique. Ce faisant, Voltaire apprend qu’Adolphe a été malheureux avec les femmes. Renonçant à la vie idéale et sentimentale, Adolphe a décidé de mener une vie pratique en s’essayant à la finance. Terminus et Voltaire passent devant la Bourse en ruines. Après avoir délaissé la finance, Adolphe a voulu s’engager pour la patrie, mais les réalités de la guerre l’ont découragé. Au terme de leur voyage dans l’Ailleurs, Terminus et Voltaire voient dans le travail et la fraternité entre ouvriers une solution aux maux d’Adolphe. Au petit matin, gagné par la foi, ils arrivent à Paris, devant Notre-Dame. Voltaire remonte sur son socle et Terminus, devant la cathédrale, demande pardon pour son accès suicidaire et dit pressentir des temps meilleurs pour l’humanité sur terre.
Première représentation
Théâtre du Chat Noir
Éditions et traductions
Maurice Donnay, « Ailleurs, revue symbolique en vingt tableaux », Autour du Chat Noir, Paris, Grasset, 1926, p. 135-192.