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Le Carnaval de Venise
A Paris, le cabaret du Chat Noir organise des spectacles d’ombres pendant presque onze ans. L’« inauguration des ombres japonaises » est annoncée le 26 juin 1886 dans la revue. Le théâtre d’ombres est pourtant en activité depuis déjà quelque temps car la même annonce précise que L’Éléphant en est à sa 195e représentation. Jusqu’à la mort du fondateur du cabaret, Rodolphe Salis, en mars 1897, le théâtre du Chat Noir, techniquement conçu par le peintre-décorateur Henri Rivière, présente presque une quarantaine de pièces. A l’instar des cafés concerts, puis comme le feront d’autres établissements de variétés et les music-halls, le Chat Noir offre des soirées éclectiques où s’alternent des pièces aux registres et aux formats variés : « outre la pièce principale, chaque spectacle comprenait de petits levers de rideau, de jolies fantaisies, en trois ou quatre tableaux » (mémoires de Henri Rivière). Trois types de pièces constituent le répertoire du Chat Noir : les pièces chantées, les pièces récitées et les pièces bonimentées.
Le Carnaval de Venise était récité par son auteur Maurice Vaucaire. D’après un compte rendu paru dans L’Art pour tous (1er novembre 1891), certaines silhouettes étaient polychromes. Un autre critique écrivait avec enthousiasme : « En vérité, je vous le dis, la Venise échenillée des touristes, la Venise auréolée du rêve, la Venise des poètes et des artistes, c’est au Chat Noir que vous la trouverez [...]. » (La Chronique amusante, 15 novembre 1891)
L'ancienne Venise renaît le temps d'une nuit de fête
Sous les traits d’une femme nue, l’esprit de Venise se promène dans une rue de la ville. Elle veut venger Venise de la vulgarité du tourisme moderne qui nuit à sa splendeur. A bord d’une gondole, des femmes arrivent avec des sacs pleins d’habits modernes volés dans les salons et les hôtels. La femme nue veut les jeter à la mer et les remplacer par des costumes chatoyants. Le temps d’une soirée, elle désire que l’ancienne Venise renaisse, la Venise illuminée où l’on pouvait croiser les modèles de Tiepolo.
La fête commence et de nombreuses embarcations défilent. Passe d’abord la gondole des comédiens sur laquelle un cabot brosse les portraits-charges de Matamore, Scaramouche, Mezzetin, Colombine et Pierrot. Accompagnés de flûte et de violes, des chants sur la renommée et l’amour s’élèvent de la gondole des chanteurs. A bord du yacht à vapeur qui assure la liaison entre Venise et le Marais, un bourgeois dit son sentiment sur la ville : il juge Venise sale et la compare à la Chine. Sur la gondole des poètes, les passagers récitent leurs vers d’amour. Une gondole noire passe. A son bord, un masque noir et un masque rose parlent, non pas en vers, comme les précédents passagers, mais en prose. Ils n’ont rien vu, rien entendu de la fête et s’en vont. La fête est terminée. Le rideau tombe.
Première représentation
Théâtre du Chat Noir
Éditions et traductions
Maurice Vaucaire, Louis Morin, Le Carnaval de Venise, Paris, imprimé pour l’auteur, 1891.