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L'Epopée
Pantomime à grand spectacle en trente tableaux
L’Épopée est une des grandes pièces bonimentées du Chat Noir ; certainement une des pièces d’ombres les plus jouées, au cabaret et en tournées. Albert Tinchant improvisait l’accompagnement musical et Rodolphe Salis le boniment.
Il existe plusieurs versions de L’Épopée, en trente, quarante puis cinquante tableaux. Avant la création de la pièce — à laquelle, pour la première fois, les critiques sont officiellement conviés — Caran d’Ache a présenté d’autres pièces diversement intitulées 1808, 1815, 1812.
Trois aspects peuvent expliquer le très large succès de L’Épopée. Le graphisme des silhouettes, d’abord, a saisi les spectateurs. Dans Le Journal des débats politiques et littéraires, le critique Jules Lemaître décrit l’effet produit (2-3 janvier 1887) : « Par l’exactitude de la perspective observée dans ses longues files de soldats, [Caran d’Ache] nous donne l’illusion du nombre, — et du nombre immense, indéfini. » Caran d’Ache a aussi exploité le renouveau du culte napoléonien que nourrissait, depuis la défaite de 1871 contre la Prusse, un patriotisme revanchard. L’Épopée, qui privilégie les victoires emblématiques des guerres de l’Empire, n’est pas pour autant univoque et cultive l’alternance des tons (La France, janvier 1887) : « [...] le charme et l'imprévu de L’Épopée consistent par‑dessus tout dans le mélange de scènes burlesques et traditionnelles avec des scènes émouvantes et vraiment épiques. » Le public enfin a découvert le boniment de Rodolphe Salis : « Caran d’Ache l’inaugura [le théâtre] avec sa pièce militaire : L’Épopée que commentait Salis sanglé dans sa redingote grise, roux de poils et verbeux, amusant et agressif, plaisant au public par ses audacieuses saillies. » (mémoires de Henri Rivière)
La Grande Armée triomphe
Les trente tableaux qui constituent la première version de L’Épopée se divisent en deux parties : les quinze premiers tableaux représentent les guerres de l’Empire (entre 1805 et 1812) et les quinze derniers sont consacrés au défilé militaire.
Cinq temps forts jalonnent la première partie : « La tente impériale », « Le soleil d’Austerlitz », « Retraite de Russie », « La redoute », « Triomphe du drapeau français ». L’armée est d’abord représentée dans son camp. L’empereur est réveillé par un général en plein rêve érotique. Après la revue des troupes, la bataille d’Austerlitz commence : sont représentés un combat d’artillerie, une charge de la cavalerie russe, des corps à corps. On assiste ensuite à la « retraite de Russie ». Les quatre tableaux consacrés à l’attaque de « la redoute » pourraient faire référence à la bataille de Borodino, auquel cas, Caran d’Ache aurait inversé la chronologie afin de terminer cette séquence par le triomphe de la France.
La deuxième partie commence par la cérémonie de remise des drapeaux au Sénat. L’armée, la maison de l’empereur, les rois prisonniers puis Napoléon lui-même défilent. Ce long défilé termine par trois tableaux consacrés au « public idolâtre » dont certains critiques ont souligné le caractère comique en évoquant notamment le sort d’un « curieux » qui, cherchant à « s'approcher trop près », est « happé par le grenadier » (Jules Lemaître, Le Journal des débats, 2 et 3 janvier 1887). Un tableau d’« apothéose » clôt la pièce.
Première représentation
Théâtre du Chat Noir