
Imprimé
50 pages
Auteur(s)
La Chanson
Revue poétique
La Chanson est créée au cabaret du Lyon d’or lors de la soirée d’inauguration de l’établissement fondé par François Trombert en 1892. Le succès du théâtre d’ombres du Chat Noir avait inévitablement suscité des entreprises concurrentes comme celle du Lyon d’or à laquelle plusieurs habitués du Chat Noir contribuèrent ; c’est notamment le cas d’Adolphe Willette, Georges Moynet, Georges Fragerolle et Louis Bombled. Concernant Émile Goudeau et Adolphe Willette, leur brouille avec Rodolphe Salis en 1885 peut en partie expliquer leur collaboration avec François Trombert.
Au Lyon d’or, les spectacles mêlent décors projetés et ombres de silhouettes, avec un écran de 1,55 x 1,15 m. Ce dispositif hétérogène, qui intègre des vues de lanterne magique, amorce la mode des théâtres d’images projetées accompagnées de chansons dont raffoleront les publics de cabarets mais aussi – et de plus en plus – les particuliers.
Lors de la création du spectacle, Émile Goudeau récite son texte, les ombres sont dessinées par Maurice de Lambert, les décors par Georges Moynet et la musique exécutée par Jules Chevalier.
La chanson meurt, renaît et se transforme sans cesse
La revue commence par représenter les origines antiques et légendaires de la chanson : le dieu Pan paraît au son des flûtes qu’il a créées en cueillant des roseaux ; Orphée arrive en jouant de la lyre ; des Ménades l’égorgent mais Anacréon parvient à les dompter au son d’une cithare. Un cortège égyptien honorant le dieu Memnon passe ; le sanglot du grand Crocodile sacré l’accompagne de sa plainte lente et mineure. Devant les ruines de Jérusalem, le prophète Jérémie évoque la psalmodie des exilés et le chant des ruines. Des trompettes guerrière retentissent. Le poète Tyrtée paraît : il sera le poète officiel de Sparte qui, à défaut d’être un vaillant général, galvanisera les troupes par ses chants guerriers. Au pays d’Armor, des druides cueillent le gui sacré pendant que Velléda, la vestale celtique, chante. Porté sur une litière, l’empereur Néron apparaît sur la Voie appienne. Il chante des églogues acclamées par la foule.
Peu à peu, le revue nous conduit vers l’époque médiévale. On voit les barbares passer en poussant des cris, puis les Sarrasins qui montrent leur art du plain-chant, et enfin les Normands qui, tout en ravageant le pays, entonnent des « chants attendris de brouillards ». Arrivent ensuite les troubadours qui récitent leur virelai d’amour aux châtelaines puis repassent à cheval en déclamant de belliqueux sirventes. Des chants marins s’élèvent. Ayant découvert des terres inconnues, les vaillants matelots chantent et dansent sur le quai.
Les temps troublés des guerres de religions opposent différents chants dont on entend et devine le caractère contrasté : les Ligueurs et le duc de Guise s’avancent au son de fanfare et chantent un cantique tout en courtisant les dames ; à l’inverse, les graves Huguenots « chantent en faux-bourdon le choral de Luther ». Sur une musique emportée, on bascule vers le XVIIème siècle et les Frondeurs chantent leurs mazarinades.
Une parenthèse introduit aux frivolités du XVIIIème siècle. Des buveurs et des vignerons célèbrent le vin, géniteur des chansons. Dans un jardin où le ciel se nuance de rose, un couple directement issu d’une chanson de Desaugier - Monsieur et Madame Denis - se remémore le commencement de leur amour. Dans le même jardin, des bergers et des bergères batifolent en chantant des airs pour chalumeau. Mais la Révolution gronde. Une foule armée de piques paraît tandis que retentit la Marseillaise... Dans un jardin orné de statues, celles et ceux qu’on appelle les « incroyables » et les « muscadines » - la jeunesse dorée du Directoire - déambulent au son d’ariettes contre-révolutionnaires. Mais les chants guerriers retentissent à nouveau. Napoléon et les hommes de la Grande Armée passent. Après le Chant du Départ, les soldats chantent gaiement un air de vaudeville, Ran-tan-plan, dont les ritournelles rythment leurs pas. Au son d’une romance qu’elle-même a composée, En partant pour la Syrie, la reine Hortense passe songeuse...
Le temps des premiers chansonniers advient. On entend une des chansons-vaudevilles de Béranger dont le passage suscite un salut amer du récitant. Puis paraît Pierre Dupont qui, accompagné de forgerons et de paysans, part à la campagne. Alors que la France colonise l’Algérie, un chant des bataillons d’Afrique retentit. Les hommes du général Bugeaud défilent en chantant la « marche des turcos ». Dans un décor estival, des pompiers et des rosières dansent joyeusement sur la musique rageusement exécutée des Pompiers de Nanterre. L’allégresse laisse brusquement place à une marche funèbre qui marque la fin d’un temps : l’âge des chansons patriotiques est révolu et la censure, malgré l’avènement de la démocratie, opprime la chanson... Mais le vacarme entraînant d’une fanfare retentit. Dans un décor de banlieue, gris et fumant, un orchestre bruyant et dissonant inflige à Orphée un ultime supplice en lui assénant sa chanson déchaînée de café-concert.
Première représentation
Cabaret du Lyon d'or
Éditions et traductions
Émile Goudeau, La Chanson, revue poétique, Paris, Paul Ollendorff, 1892