
Imprimé
45 pages
Auteur(s)
Fantochines
En 1923, le compositeur, chef d'orchestre et premier violon de l'orchestre du Teatro Real de Madrid, Conrado del Campo (1878-1953), reçut de la compagnie belge Ottein-Crabbé ─ dirigée par le baryton Armand Crabbé (1883-1947) et son épouse la soprano Ángeles Ottein (1895-1981) ─ la commande d'un petit opéra avec peu de personnages et pour un petit orchestre de chambre. Conrado del Campo a confié à Tomás Borrás l'écriture du livret.
Ils décidèrent de préparer une oeuvre dans le goût du 18e siècle, avec une ambiance vénitienne et des clins d'œil à la Commedia dell'Arte. Il est probable qu'ils ne connaissaient pas le projet de Manuel de Falla pour El Retablo de maese Pedro, mis en scène à Paris en juin de la même année 1923. Les deux œuvres partagent substantiellement le même esprit de retour au classicisme tant sur le plan musical que sur le plan scénique, dans une perspective avant-gardiste qui confère une importance centrale à la marionnette. La principale différence entre ces œuvres est que chez de Falla les chanteurs sont séparés des marionnettes, tandis que chez del Campo et Borrás chanteurs et marionnettes interprètent les mêmes rôles successivement.
L'opéra a été monté avec les décors de Manuel Fontanals au Teatro de la Comedia de Madrid en même temps que La serva padrona de Pergolesi. Il a reçu un accueil remarquable du public et des avis divergents de la part des critiques, a tourné en Europe et en Argentine et été représenté en janvier 1924 au Teatro Real de Madrid, en présence du roi Alfonso XIII. Il a aussi été diffusé en direct à plusieurs reprises entre 1927 et 1931 par Unión Radio avec l'orchestre de la radio. Il a été repris en 1934 au Teatro Calderón. Il semble être ensuite tombé dans l'oubli, malgré la tentative (entre 1935 et 1945) de monter une version anglaise que la Seconde guerre mondiale et le régime franquiste empêchèrent de réaliser.
En 1990, la Fundación Juan March, qui a reçu une partie des archives de Corrado del Campo, a édité en fac-similé la partition manuscrite du compositeur. L'opéra a été monté en 2015 avec la Fundación March au Teatro de la Zarzuela, sous la direction musicale de José Antonio Montaño et dans une mise en scène de Tomás Muñoz qui renonça à la structure du retable pour créer un espace scénique unique où circulaient acteurs et marionnettes.
Un mariage arrangé refusé et finalement accepté
L’œuvre est composée de deux tableaux. Dans le premier tableau, El Titerero (Le marionnettiste) invite à regarder la farce qui va être jouée. Dans le deuxième, il fait un bref résumé de ce qui a précédé et annonce l'intrigue que préparent deux des protagonistes, Doneta et la Tía (sa tante, interprétée par une marionnette avec la voix de baryton de l'acteur qui représente le Titerero). Celles-ci veulent duper un troisième personnage, Lindísimo. Tout au long de l'oeuvre les marionnettes apparaissent come les doubles de chanteurs, établissant un dialogue entre les deux niveaux.
Dans le premier tableau, Doneta se plaint à la Tía des dispositions du testament de son oncle très riche, le docteur Cerote. Pour recevoir son héritage, il l'oblige à se marier avec un homme élégant et vaniteux, son neveu Lindísimo. Celui-ci ne souhaite pas non plus épouser Doneta et imagine un plan pour éviter ce mariage. Lors de leur première rencontre, il explique que la veuve de don Cerote est également décédée et qu'elle a modifié le testament: Lindísmo recevra seulement sa part de l'héritage s'il ne se marie pas avec Doneta. La Tía et Doneta, désespérées, pensent qu'elles sont déshéritées.
Dans le deuxième tableau, après l'intervention du Titerero, apparaît dans le castelet le Pont des Soupirs que traverse d'abord la marionnette de Líndísimo puis, sans qu'il l'aperçoive, celle de Doneta qui se cache derrière un masque vénitien. Dans un luxueux salon, Lindísmo prépare un billet à diffuser dans la ville et dans lequel il demande à rencontrer la plus belle femme de Venise. L'un de ces billets arrive entre les mains de Doneta qui, conseillée par la Tía et masquée, se présente devant lui. Commence alors un jeu de séduction mutuelle dans lequel Lindísimo finit par succomber aux avances de Doneta et lui demande sa main. Doneta enlève son masque et Lindísimo, malgré sa surprise, accepte ce dénouement.
Finalement, le Titerero pose la question suivante: "En amour, vaut-il mieux science, innocence ou expérience?" Les trois protagonistes déclarent en même temps "Celle qui plaît le plus est celle qui sait le plus". Et l'auteur du livret conclut avec une phrase que personne ne prononce et qu'on ne découvre qu'à la lecture: "Et on peut être presque sûrs que, la petite comédie une fois finie, ils se marieront et elle le trompera."
Première représentation
Teatro de la Comedia
Éditions et traductions
Tomás Borrás, Conrado del Campo, Fantochines. Madrid: Marineda, 1923.
Tomás Borrás, Conrado del Campo, Fantochines. Madrid: Fundación March, 2015.