Imprimé
32 pages
Auteur(s)
Grey & Co
King Edward's unselige Erben
Grey & Co est une production satirique du célèbre théâtre munichois du marionnettiste et metteur en scène Paul Brann (1873-1955), qui relaie le discours de propagande allemand de la Première Guerre mondiale. Les différents artistes qui ont participé à ce spectacle ont bien connu les milieux de la Sécession de Munich, mouvement de renouveau artistique réuni autour de célèbres cabarets littéraires, théâtres et revues illustrées : l'illustrateur de la première de couverture de la pièce et le dessinateur des marionnettes, le Norvégien Olaf Gulbransson (1873-1958), était un contributeur régulier de la revue satirique Simplicissimus. Grey & Co hérite à maints égards de cette dynamique culturelle à laquelle la guerre devait mettre un terme. La pièce investit désormais l'outil satirique au service de la cause nationale, voire nationaliste : en témoignent les personnages de Germania et de Michel, incarnation traditionnelle du brave Allemand. La satire acerbe et grotesque des pays de la Triple Entente, Angleterre en tête, se termine cependant par un triomphe de Pluton qui tire sur le conflit la même conclusion désabusée que l'écrivain viennois Karl Kraus (1874-1936) dans Les Derniers jours de l'humanité, pièce beaucoup plus critique au demeurant : au jeu de la rapacité des nations, tout le monde sera perdant.
La rapacité des nations
Lord Grey et John Bull cherchent un prétexte pour déclarer la guerre à l'Allemagne, qui fait concurrence à l'Angleterre par son développement industriel. L'annonce par Kasperl, le domestique de Grey, de l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo leur en fournit un, à condition bien sûr de contrefaire l'événement comme une agression de l'Autriche contre la Serbie. Grey et John Bull réunissent alors leurs alliés de la Triple Entente : le prince Wodkasoff et Delcassé. Ils s'associent encore le diable du mensonge. Kasperl laisse échapper une parole d'indignation, qui lui vaut d'être jeté en prison. Du côté allemand, Germania met en garde son époux Michel devant la rapacité de ses voisins, quand Kasperl, tout juste évadé de prison, vient les prévenir de la conjuration des pays de l'Entente. Le diable du mensonge cherche à dresser contre ses parents Michel et Germania leur fils Hans, mais il est reçu à coups de bâtons. Méfiants à l'égard de l'Italie, les Allemands s'allient à Josef (le Tchèque) et à Janos (le Hongrois) : la Triple Alliance part en guerre. En 1914-1915, les pays de l'Entente ne parviennent pas à progresser contre l'ennemi : désespéré, Grey va chercher conseil en enfer, où le roi Edouard VII joue aux cartes avec Pluton et Kitchener. On envoie alors Mammon, le diable de l'argent, corrompre les pays neutres. En Italie, il achètera même le poète d'Annunzio pour soulever les foules contre l'Allemagne. Afin de hâter le retour de Mammon, Pluton avance l'horloge d'une année : nous sommes en 1916-1917, et Grey a été remplacé par le plus énergique Lloyd George. Mais celui-ci descend à son tour chercher conseil en enfer. Les démarches de Mammon n'ont pas suffi à diminuer la résistance de l'Allemagne. Le diable du mensonge revient alors en scène, grimé en ange de la paix, pour annoncer l'entrée en guerre des Etats-Unis. C'est le branle-bas de combat en enfer. Pluton conclut la pièce en rappelant qu'il sera gagnant dans tous les cas : soit l'Allemagne remporte la victoire et il récupèrera alors les âmes de Grey, Lloyd George, Iswolski, Northcliffe, Delcassé « et tutti quanti » ; soit c'est l'Angleterre, et alors la terre sera un tel enfer que lui-même, Pluton, n'aura plus qu'à profiter de la retraite.
Première représentation
Éditions et traductions
Fritz von Ostini, Grey & Co., oder King Edward's unselige Erben, München, Marionetten-Theater Münchener Künstler, 1917